Stockholm

La lumière baignait doucement la pièce. Enfin, le faible rayon qui filtrait sous la porte et auquel mes yeux s’étaient habitués. Je pouvais presque tout distinguer désormais autour de moi. Je voyais surtout la blancheur des calices qui embaumaient jusqu’à mon lit.

Il m’avait offert des fleurs. Des lys. C’était la première fois et je lui aurais sauté au cou si je ne m’étais pas retenue. Je ne sais pas depuis combien de temps il me disait qu’il m’aimait. Des semaines, des mois peut-être. Ça n’avait pas d’importance après tout, il m’avait apporté un gigantesque bouquet de lys blancs. Je pouvais le voir dans la pénombre et le sentir, surtout le sentir.

Je n’avais plus vraiment de notion du temps. Quand il fait nuit à longueur de jour avec seulement deux ou trois heures de clarté, comment pouvez-vous croire que le temps passe, qu’une journée s’est écoulée ? J’avais arrêté de compter, de toute manière c’était plus déprimant qu’autre chose. Un jour, je le savais, la lumière reviendrait, mes jours s’allongeraient et je revivrais.

C’était aussi pour mon moral qu’il m’avait offert ce petit bout de verdure, depuis quelque temps, ça n’allait plus. Il l’avait senti. Les chocolats ne suffisaient plus, la gerbe s’imposait. Le plus grand bouquet que j’avais jamais vu. Je sais c’est stupide de dire cela : il ne devait pas être très volumineux, 5 ou 6 fleurs à peine. Mais l’espoir que cela m’apportait, ce morceau de printemps qui entrait, même artificiellement, dans ma chambre était à la mesure de l’immensité que je vous décris.

Lui n’avait pas pu rester. Malgré mes supplications, il était parti me promettant un retour très rapide. Mais les heures que je passais à l’attendre étaient insupportables. Au début, quand il venait, je n’avais qu’une hâte, qu’il parte. Le temps fait son œuvre, et ses visites quotidiennes avaient fini par rythmer mes jours. Je l’attendais désormais avec impatience, comme le soleil se levant en hiver, même si j’essayais de ne pas trop lui montrer. Je me voulais forte devant lui, mais dès qu’il partait et que je replongeais dans l’obscurité de l’hiver, je n’en menais pas large. L’illusion que j’entretenais n’était que ça, une illusion. Il le savait bien désormais que je ne vivais plus que pour lui et ses visites.

La douceur sucrée me parvenait à travers la pièce. Si j’avais osé, j’aurais rampé jusqu’au vase pour humer les fleurs, les respirer à m’en tapisser les narines de leur pollen jaune et salissant. Mais je restais prostrée sur mon matelas, les yeux fixés sur les silhouettes floues comme des fantômes peuplant ma nuit. Tétanisée par les sentiments contradictoires qui m’assaillaient.

Je voulais mourir. Et je voulais vivre. La nuit, le froid, l’odeur de l’hiver, cette moisissure, cette humidité qui régnait autour de moi uniquement là pour me rappeler que j’étais loin des rires de ma mère, de la lumière qui baignait le jardin. Cette lumière qui même au plein cœur de janvier restait douce et chaleureuse, cette lumière, que j’aspirais à revoir un jour, me manquait tellement. C’était elle qui à la fois me donnait la force de continuer, et son absence qui me torturait. Et puis, il était là. Lui aussi était un dilemme constant. Son amour dont il m’inondait quotidiennement, je voulais le déchirer en mille morceaux, les jeter au feu et en fouler les cendres jusqu’à me meurtrir les pieds. Et pourtant chaque fois qu’il venait, je me replongeais dans son odeur, dans son corps avec délice et application. Si j’étais là, c’était à cause de lui, si je restais cloîtrée dans cet hiver éternel, c’était uniquement pour lui.

Notre relation était étrange, elle avait commencé d’une manière étrange. Une rencontre improbable, dans un parking. Et puis ce dégoût, je ne voulais pas le voir, ni lui parler, mais il insistait. Je lui avais plu dès le premier regard, il savait que je serais la femme de sa vie… Le genre de clichés qui peuple les films à l’eau de rose. Dans ce scénario, j’étais celle qui se refusait mais qui finirait par tomber amoureuse, désespérément amoureuse du prince charmant.

Ce n’est pas un prince charmant, il n’a rien du prince : pas de manière, pas de palais, un physique plutôt ingrat (mais une force !). Je ne suis pas amoureuse, désespérée, oui, mais pas amoureuse. Chacun se raccroche à une bouée quand il sent qu’il ne peut plus lutter et que les vagues n’ont de cesse d’attirer les corps vers le fond. C’était ma bouée, j’étais sans doute aussi la sienne.

Deux semaines avant le bouquet, environ, je vous l’ai dit la notion de temps est distendue ici, bref, une quinzaine de jours avant son dernier cadeau, il m’avait offert une bague. L’alliance de sa mère. Je l’avais acceptée. Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Lui jeter à la figure, lui dire que jamais je ne l’épouserais, que jamais je ne l’aimerai ? Autant lâcher la seule balise à des kilomètres à la ronde, c’était la mort assurée. Alors je passais mes jours, ou plutôt mes nuits, à tourner l’anneau d’or autour de mon doigt, le prenant parfois dans ma main pour le soupeser, puis le glissant à nouveau sa place illégitime. Il était bien trop grand pour moi.

L’odeur des lys m’enveloppa d’un coup, d’une manière presque écœurante. La nausée me revint rien qu’en pensant à l’occasion pour laquelle il m’avait apporté ce vase à l’eau croupie. Une bonne nouvelle ! J’en avais pleuré. Rien que son souvenir faisait à nouveau couler mes yeux que j’avais depuis bien longtemps cru taris. Le verre de champagne qu’il me tendait pour fêter ça, je n’avais même pas eu le cœur de le repousser, ni même de lui fracasser sur le crâne.

Son sourire, ses baisers me brûlaient encore la peau. « Maintenant on va pouvoir vivre tous les deux, sans s’occuper du reste du monde. »

Comment avaient-ils pu me faire ça ? C’était comme me planter un couteau dans le cœur, et pourtant il m’avait apporté toutes les preuves. Ils s’en fichaient, tous. Plus personne ne s’inquiétait de mon sort, plus rien n’avait d’importance désormais. À part le seul corps que je pouvais serrer, le seul être vivant pour qui j’étais devenue une compagne. À part lui.

Le bruit du verrou, ce délicieux cliquetis métallique qui annonçait sa visite retentit dans le silence. Bientôt la lumière crue de la petite ampoule inonderait la pièce, m’aveuglant quelques minutes, pendant que le son de ses pas marquera chaque degrés des marches de la cave. Bientôt, il serait là, mon seul espoir. Mon geôlier.

Texte publié pour la première fois en décembre 2010.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *