Quand on écrit, il arrive qu’un personnage n’en fasse qu’à sa tête. Cela peut paraître bizarre à dire, puisque c’est l’auteur qui écrit et donc a la main sur ses personnages, mais parfois, la logique de l’écriture s’éloigne du scénario prévu. Et un personnage dont le destin était tout tracé prend vie et part dans une autre direction.
Je sais que certains auteurs n’ont pas ce problème et pour d’autres c’est plutôt récurrent. Personnellement, je l’ai vécu assez souvent, mais j’ai toujours réussi à ramener l’histoire (en la modifiant parfois un peu) là où elle devait arriver, malgré les personnages « qui n’en font qu’à leur tête ».
C’est assez logique en fait : parce que lorsque l’on écrit, on va essayer de coller à la situation et suivre un plan n’est plus la priorité : il faut que le personnage ait une réaction logique et proportionnée à la scène, en fonction du caractère qu’on lui a donné. Quand on prépare un plan, c’est grossier, ce sont des grandes lignes, mais au moment de rédiger, on pense à tout un tas de détails qui peuvent modifier les réactions logiques des personnages. Ce qui explique qu’ils ne soient pas toujours là où on les attend.
Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que j’ai cru trouver ce problème dans un roman que j’ai lu récemment.
Dernièrement, j’ai lu Mansfield Park de Jane Austen. C’est un roman d’Austen, donc c’est romantique, l’héroïne va tomber amoureuse d’un type tout désigné, il va y avoir des obstacles, mais à la fin, ils vont se marier ! Voilà. C’est pas très dur de deviner qui va épouser qui, mais l’intérêt, c’est le déroulé de l’histoire et la manière dont les personnages vont tomber amoureux. Mais voilà, contrairement aux autres romans d’Austen où le dénouement est long, où elle prend le temps de détailler les moments où les deux amoureux réalisent qu’ils le sont, là, c’est…
Si vous souhaitez lire ce livre arrêtez-vous là. Allez le lire, et revenez ensuite ! Car je ne voudrais pas vous divulgâcher la fin.
Donc, je reprends : la fin est ici très abrupte. Après avoir étaler pendant des pages et des pages l’amour d’Edmond pour Miss Crawford, le retournement de situation est expédié en trois lignes. En fait, j’ai vraiment eu l’impression qu’à chaque fois que la situation aurait dû se retourner au profit de Fanny (ce qui arrive quand même deux ou trois fois…), Edmond continue à foncer tête baissé, totalement aveuglé par l’amour, et que l’auteur a essayé plusieurs fois de le faire revenir à la raison (Edmond, s’il te plait, reviens à mon plan de base !), le personnage n’a rien écouté et a continué dans sa propre direction.
C’est vraiment l’impression que j’ai eu durant la lecture et cette idée m’a vraiment marquée à la fin : quand, enfin, elle réussit à lui faire lâcher Miss Crawford, il ne part pas pour autant vers Fanny. Comme s’il ne voulait toujours pas voir que c’est elle qui lui est destinée !
Arrivée là, l’histoire étant déjà très longue, il faut en finir ! La fin est une description très rapide de la situation du genre « Bon ben, il se rend compte que Fanny est la femme idéale et il l’épouse, voilà, c’est fini ! » comme une auteure qui en aurait eu vraiment marre de son personnage et qui ramène l’histoire où elle doit être.