Dois-je écrire de manière limpide ?
Si j’écris les idées qui me passent en tête, elles sont confuses, brouillonnes. Mais écrire, c’est remettre les idées dans l’ordre, organiser, classer, ranger, éliminer, réduire, synthétiser.
On ne peut pas tout dire, comme ça nous vient.
Quand ça vient clairement, quand les idées s’enchainent, évidemment, c’est simple, on pense, on écrit, on suit un raisonnement logique. C’est tellement plus facile.
C’est un texte explicatif, ceux qu’on apprend à écrire à l’école, pour le bac, pour les études.
Je relis un chapitre de roman que j’ai déjà réécrit. Plusieurs fois. La première, c’était un chapitre banal, comme on en croise partout. Un scénario de film hollywoodien, clair, tout est prévisible.
La deuxième, j’ai dû modifier, parce que j’ai voulu un narrateur différent, un type baigné par les sensations, submergé par les émotions.
J’ai fait un mix bizarre, qui ne va pas avec le reste du livre. Je le relis et j’en peux déjà plus de ce que j’ai fait. Je n’ai pas fini la première page que je lève les yeux au ciel, que je zappe rapidement, que l’histoire ne va pas. C’est de l’eau de rose, du cul pour du cul. Aucune ambition, aucune portée.
Je vais encore le réécrire, mais je m’emmêle les pinceaux, les scènes, les sensations. Je ne peux le supprimer, parce que le roman est écrit en alternant les narrateurs, si je le supprime, ça sera bancal. L’esthétique de la forme est importante.
Mais le fond…
Le fond, c’est que ça va être un chapitre confus. Brouillon, comme des idées qui s’enchainent et divaguent. Mais c’est logique, le type, que tout le monde croit organisé, clair, propre, il n’est pas comme ça, en dedans. Dedans, c’est le chaos, l’incertitude, le doute… et la confusion.
Où se situe la limite ? Parce que si j’écris comme il pense, on ne va plus rien comprendre, juste une succession de pensées, d’émotions et de sensations. Mais si j’organise, je classe, je clarifie… je sors de mon rôle d’auteur, je prends la place de ce narrateur pour que le lecteur continue de suivre… et je me trompe peut-être de chemin. Le lecteur est-il important ? Plus important que la cohérence de ma narration ? Plus important que mon personnage lui-même ? Est-ce que j’écris pour être lue ou pour faire vivre ce personnage ? Est-ce que je destine mon texte à être lu, à être publié, jugé, critiqué, apprécié ou est-ce que je cherche comment aller jusqu’au bout de cette idée, quitte à me retrouver dans une impasse ? Parce que ce roman, ça fait dix ans que je le retravaille, de temps en temps, que j’aimerais bien en venir à bout mais qu’il refuse de se rendre. Parce que je ne veux pas qu’il soit une simple histoire comme on en trouve ailleurs. Ça pourrait être tellement plus que ça pour moi…