J’ai un don. C’est con de le dire comme ça, mais c’est vrai. Attention, pas un truc comme « savoir écouter les autres » ou « dessiner un portrait en trois coups de crayon », non ça c’est de l’esbroufe. Moi, j’ai un vrai don. Je lis dans les pensées.
A quoi ça sert ? A rien.
J’aurais pu m’en servir pour avoir une meilleure note au bac. J’ai pas passé le bac. Moi,j’ai fais un CAP Plomberie. J’adore mon métier. J’aurais jamais pu faire médium, homme politique ou même juste psy… Pour ces métiers-là, ça serait vraiment utile. C’est vrai, c’est souvent ce qui passe par la tête des gens : j’adorerai savoir lire dans les pensées. Ça les avancerait à quoi ? Les pensées, c’est fugace et très confus. Les filles surtout. J’ai l’impression qu’elles pensent à trois trucs en même temps, mélangeant des mots, des images, des réminiscences de trucs lus, vus, entendus… Je sais pas comment sont mes propres pensées, mais celles des autres, c’est toujours le bordel. Comme si les gens avaient du mal à se concentrer. C’est amusant parfois. Mais c’est lourd la plupart du temps.
Je suis plombier, j’adore mon métier. Alors j’en vois défilé des mensonges « Je ne comprends pas, ça s’est bouché d’un coup » avec dans la tête l’image du père qui de rage jette un doudou dans les toilettes… J’ai réussi à sauver le doudou, le gamin était ravi et le père furax mais soulagé.
Je suis plombier, alors évidemment, pas mal de femmes fantasmes sur moi. Accroupi sous le lavabo, en train de sortir une touffe monstrueuse et malodorante de cheveux, de poils et de n’importe quoi, le genre de truc qui révulse et pue à des kilomètres, et madame est en train m’imaginer la prendre sur la machine à laver. Ça arrive presque à chaque fois que je tombe sur une femme. Une pensée fugace ou le fantasme affirmé, des fois, elles sont nues sous leurs robes. Chauffé à blanc comme le tuyau sous le chalumeau. Je pourrais en profiter pour reluquer ou m’envoyer en l’air, y’en a pas mal qui diraient pas non. Sauf que manque de bol, j’ai une tare : je suis gay.
Remarquez, des gays qui fantasment sur les plombiers, y’en a aussi. Mais c’est rarement ceux qui m’intéressent. Moi, je préfère les types débrouillards qui savent faire des trucs de leurs dix doigts. Autant dire, pas le genre de type à appeler un plombier pour un évier bouché. Les mecs pensent autant au sexe que les filles, en général. Mais c’est différent : un mec va y penser en une succession d’images rapides, ça les empêchent de penser en profondeur, mais ils ont l’habitude. Ça les gêne plus. Par contre, les femmes, elles ça s’installent. La métaphore filée comme aurait dit mon prof de français au collège : ça occupe tout leur esprit. Ça les empêche pas de faire autre chose à côté, non plus. Elles ont l’habitude aussi.
Remarquez, je ne lis pas dans les pensées. Ce sont leurs pensées qui s’incrustent dans ma tête. Les gens pensent qu’être télépathe, c’est violer l’intimité de l’esprit, c’est voler des idées. C’est faux. Moi, j’ai rien demandé et on m’impose des visions, des fantasmes, des trucs inavouables (et inavoués). Les musiques qui vous prennent la tête, m’obsèdent des heures après que je vous ai croisé. Discuter avec vous est d’un ennui mortel car rien ne sort dont je ne connais pas déjà le but. Pour draguer, peut-être, c’est utile. Mais j’avoue que savoir à coup sûr qu’on plait ou non, finalement, c’est plus déprimant qu’autre chose : pas d’angoisse, pas de délicieux picotement dans le creux du ventre, pas d’appréhension. Tout est prévisible.
Mais lire dans les pensées, quand on est plombier, ça sert à rien. Les tuyaux ne pensent pas. C’est peut-être pour ça que j’aime mon métier, parce qu’au moins, la plomberie, elle, elle me fout la paix.
Texte publié pour la première fois en 2011
dans le recueil « 4 histoires de Zombies Bretons avec de vrais cadavres au beurre salé ».