Sybéria 4

Je suis une grande amatrice de jeux vidéos d’aventures de type « Point and Click ». J’ai toujours aimé cela : des aventures dans de beaux paysages qui te demandent de résoudre des énigmes pour avancer dans une histoire palpitante. J’ai visité l’Égypte, Versailles au temps du roi-soleil, mais aussi des dystopies ou des mondes parallèles. Même si j’ai une préférence pour les jeux « historiques », un jeu d’aventure dans un monde inventé, s’il est beau et bien construit, ça me fait toujours un bien fou.

La saga Sybéria de Benoît Sokal est un bon exemple des jeux que j’apprécie : c’est une dystopie qui se passe dans notre monde, mais dans des pays imaginaires, avec un ensemble d’inventions mécaniques par un étrange Hans Voralberg (que l’on va passer une bonne partie du temps à chercher.)

Les trois premiers épisodes sont des jeux qui défient réellement l’esprit et l’on peut passer beaucoup de temps sur les énigmes avant d’avancer dans l’histoire. J’avoue que j’attendais avec beaucoup d’impatience le troisième tome et que je me suis pressée d’y jouer lorsqu’il est sorti en 2017. Pressée à tel point que je l’ai fini assez vite et que j’ai été très… mitigée. Disons que l’épisode 3 m’avait laissée sur ma faim avec un goût de trop peu et de pas fini. Ceux qui y auront joué et l’auront fini comprendront ce que je veux dire : attendre plus de dix ans pour une suite (alors qu’à la fin du 2, c’est une vraie fin) et se retrouver avec un épisode très attendu, mais trop court et « pas fini », ça m’a dégouté pour un bon moment des jeux « à suite ». Aussi quand j’ai vu qu’il y a un mois, était sorti Sybéria 4, j’ai été très étonnée. Évidemment, à la fin du 3, on est laissé sur notre fin, la suite était logique. Mais je ne l’attendais pas (contrairement au 3).

Bandeau de Sybéria 4

Comme j’avais beaucoup apprécié les premiers, j’ai décidé d’y jouer pour redonner une chance à la saga et savoir enfin pourquoi cette fin si abrupte et hors de propos.

Alors tout d’abord, pourquoi le 3 finit comme il a fini ? Ben vous ne le saurez pas vraiment. On retrouve l’héroïne un an plus tard, avec une coupe de Punk et une romance lesbienne sous-entendue (alors que bon, les relations sociales, c’était pas son truc), dans une sorte de camp d’esclaves sans qu’on sache vraiment pourquoi elle est là. Il y a des explications, mais je les trouve très légères (et vraiment ? des néo-nazis ? pourquoi on ne peut plus rien faire sans qu’il y ait des nazis partout !)

Fini la chasse aux mammouths, fini les peuplades étranges du fin fond de la Sibérie, on repart en Europe avant guerre, où une copie des Nazis (l’ombre brune) discrimine et détruit une copie des Juifs (les vageranes). Hans est là en clin d’oeil, alors qu’il était le centre des énigmes dans les premiers jeux, et même si le monde est toujours très beau, il n’est plus aussi magique qu’au début.

Je vous parle, je n’ai encore joué que quelques heures (mais si j’en crois les sites de soluces, j’ai déjà parcouru le premier tiers du jeu). Les sites de soluces dont, honnêtement, je n’aurais pas besoin. Les énigmes sont évidentes et guidées, tu a une liste à remplir très précise comme « parler à tel personnage », avec des sous-quêtes « observer tel endroit avant d’aller parler à tel personnage ». En plus, si tu bloques un peu, le personnage va sortir un indice du genre « Il manque du bois » (oh ben, ça tombe bien, il y avait un tas de bois juste à côté de la porte), puis, avant même que tu n’aies le temps de trouver pourquoi ça ne marche toujours pas, elle ajoute « on dirait qu’il y a un problème avec l’entrée d’air »), ce qui rend les énigmes non pas trop faciles, mais inexistantes. Et si jamais, malgré toutes ces aides, tu es perdue, tu peux t’asseoir et « faire le point » (et là, cinématique : l’héroïne te raconte tout ce que tu as loupé, au cas où tu aurais pas été un peu distraite jusqu’ici) ou regarder « ton » journal qui n’est pas le tien mais celui du type qui te courrait après dans les épisodes précédents, et qui continue de te chercher. Du coup, tu apprends des trucs, mais que tu n’es pas sensée savoir vu que tu ne sais pas ce qu’il fait… (ton personnage ignore même qu’il existe).

Pour l’instant, donc, à un tiers de l’histoire, je n’ai pas joué à un jeu vidéo, j’ai « participé » à un film interactif (où les choix se limitent à dire « Oui » ou « Peut-être » et à regarder la scène suivante qui sera la même quel que soit ton choix…)

Il y a plus de cinématiques (impossibles à passer) que de phases d’énigmes.

Le moteur du jeu aussi est particulier : alors que les 3 premiers sont des point and click traditionnels avec une vue en plan large où tu peux balayer l’image avec ta souris, ici on se retrouve sur Unity. J’adore Unity, c’est sur ce moteur que beaucoup de jeux que j’apprécie tournent (je pense en particulier à Rime auquel je rejoue régulièrement). Mais ce n’est clairement pas le même fonctionnement… Ici, le décor bouge en même temps que ton personnage, ce qui rend l’affaire pénible quand tu cliques sur un objet à observer mais que ton personnage bouge, la souris aussi, du coup, comme le perso ne va pas vite, tu doubles-cliques, mais à côté… et tu passes du temps à tourner autour de l’endroit où tu veux aller (parce que bien sûr la caméra a changé d’angle). Pourquoi avoir conservé le même gameplay que les premiers alors qu’on change de mode de fonctionnement ?

Unity est sensé te permettre d’observer le décor à ta guise en tournant à volonté la caméra dans tous les sens comme si tu étais réellement là, dans ce monde. Mais rapidement tu te rends compte que « à ta guise » se heurte à beaucoup de murs invisibles, c’est à peine si tu peux lever les yeux au ciel ! C’est d’autant plus idiot que lorsque tu es en gros plan, s’affiche l’icône pour regarder autour et l’image bouge de quelques millimètres à peine !
C’est dommage car c’était une chose qui manquait aux précédents : l’expérience d’un monde ouvert dans ces magnifiques décors !

Les décors sont toujours très beaux, bien sûr, et c’était ce qui faisait vraiment que Sybéria se démarquait d’autres jeux d’aventures, c’est évident que Benoît Sokal était un très bon dessinateur, mais cela ne suffit pas à en faire un jeu vidéo qui vaille le coût (presque 50€ en version PC !)

Les bons arguments

Je lisais un article sur le site du Monde à propos de l’existence historique réelle ou non de Jésus. Deux universitaires sont questionnés, l’un en faveur d’une thèse « mythique » et l’autre en faveur d’une thèse « réalité historique ».

Je lis le premier, je ne suis pas convaincue. Il a les arguments bateaux de ceux qui veulent défendre une cause sans vraiment de preuves : prétendre qu’une existence est inventée parce que les grandes sources de l’époque ne l’évoquent pas et que les sources sont principalement antérieures et chrétiennes… Bref, j’ai toujours été dans le camp opposé, mais le mec ne prouve rien et ne me donne aucun argument vraiment valable pour le croire, sans références historiques (ben c’est justement la difficulté de sa situation 😛 )

Je me dis que l’autre universitaire va le descendre, démontrer une fois pour toutes que c’est faux. Et là, il sort des arguments décevants. Il y a de bonnes choses : le fait que l’idée du mythe soit apparue très tard dans l’histoire du christianisme (donc si l’existence réelle n’a jamais été remise en cause au début, c’est que les gens s’en souvenaient assez), que les sources romaines officielles avaient un peu autre chose à traiter que la vie d’un charpentier-gourou à l’époque où il y a des gourous partout, que le fait de nier l’existence de Jésus est souvent repris par des gens gênés par le fait qu’il était juif… De très bons arguments en fait, quand j’y repense à froid. Mais en lisant l’article, ce n’est pas du tout ce que j’ai ressenti.

Le premier universitaire était sûr de lui, sans nuance, direct. Le genre de personne qui, en apparence, fait mine de ne pas vouloir se battre, qu’il y a de la place pour tout le monde, mais qui insinue que les autres ne sont pas professionnels, se trompent, sont des moutons, et pousse à faire en sorte qu’on lui tape dessus pour gagner. Le genre complotiste avec des certitudes un peu trop assumées.
Le second ne rentre certes pas dans son jeu. Il reste calme, n’est pas radical mais il joue sur les nuances, invoque des exemples anciens, tente de démontrer que la posture du premier est infondée. Le genre universitaire sérieux et cartésien. Et c’est ce qu’il faut faire ! Pourtant… Si ses arguments sont plus fondés que ceux du premier, ils donnent surtout l’impression qu’il tourne autour du pot, qu’il n’a pas de sources historiques pour étayer sa théorie, qu’il va perdre le débat (bien qu’il n’y ait pas débat puisque ce sont juste deux experts interrogés séparément sans échange entre eux).

Je sais, car j’ai fait des études, pire, j’ai fait des études en sciences humaines, que les faits historiques sont fiables, mais pas aussi certains que les faits scientifiques, qu’il faut prendre du recul face à l’histoire, la remettre dans son contexte, remettre aussi les théories et leurs défenseurs dans leurs contextes historique, social et politique, quelles que soient les époques.

Mais au fond de moi, je suis quand même bien humaine (donc avec des biais cognitifs bien bêtes) et si le premier ne m’a pas convaincu, le second m’a fait douter…

 

Sous-titres

On parle souvent des sous-titres Netflix qui ne sont pas forcément très bons : traduction à deux ronds (à peu près le prix qu’ils payent les dix traducteurs qui ne se coordonnent pas pour traduire en deux heures une série qui sort dans trois…), interprétation erronée…

On peut parler des sous-titres de France télévision ?

En ce moment, avec mes enfants nous regardons la série « Le tour du monde en 80 jours » de France 2 sur le replay officiel de France.tv. Série française, tournée en anglais avec des acteurs et une équipe de tournage de différentes nationalités. Bon, une série française tournée en anglais, je ne suis pas chauvine, ça permet de la vendre à l’international. En plus, il y a un effort sur les langues : si tout le monde parle anglais, on parle aussi français en France, italien en Italie, etc. Donc il y a une logique, en plus le héros principal est anglais, donc c’est toujours logique. Bref, pas de quoi fouetter un chat. Et je ne parlerai pas de la version française (il y a bien longtemps que j’ai arrêté les versions françaises des films et séries car la plupart du temps, les voix sont totalement hors de propos, en décalage complet avec la vraie voix des acteurs et leur jeu en VO, ce qui rend l’expérience désagréable… ce qui est le cas ici, je précise)

Bref, nous regardons en VO, avec les sous-titres bien que mes enfants soient parfaitement capables de comprendre sans. Sous-titres français. Sous-titres officiels. Sous-titres pour malentendants.

On parle souvent donc, des mauvaises traductions Netflix. On pourrait évoquer les mauvaises traductions/timing/inutilités/inventions des sous-titres d’une chaine de télévision nationale.

Je ne sais pas si le système est le même sur la télé, mais sur le replay, c’est une catastrophe. Au point que mes enfants me supplient presque de ne pas les mettre quand on regarde (alors qu’ils sont plutôt du genre à les mettre sur d’autres films et séries, juste pour ne pas avoir à faire l’effort de comprendre ce que disent les acteurs…)

Voici un petit topo de ce qui ne va pas (je rappelle que ce sont des sous-titres pour malentendants, donc il y a toutes les couleurs et indications sur les sons qui devraient apparaitre)

  • Les phrases de deux lignes qui s’affiche pendant une seule frame. Impossible à lire puisqu’elles disparaissent à peine affichées : une bête erreur de codage sans doute. On a mis le timing d’apparition du texte, pas celui de fin. Du coup, ça « pop » et ça disparait aussitôt. C’est souvent lié à…
  • Les phrases qui apparaissent trop tôt et disparaissent avant que la personne n’ait parlé.
  • Les phrases inventées : un personnage dit quelque chose, le sous-titre fait apparaitre une réponse que PERSONNE ne dit à l’écran !
  • La mauvaise traduction/interprétation. Du genre (de mémoire, mais il y en a plein) : « Let’s go ! » qui devient « Ça ira. »
  • Les sous-titres « sonores » qui ne servent à rien : le personnage tente de faire du feu, on le voit faire, le sous-titre marque « Il tente de faire du feu. » Ce sous-titre s’adresse aux sourds donc ne sert à rien car les sourds VOIENT (et l’acteur n’est pas subtil, hein, on le voit frotter un bâton, gonfler ses joues, expirer…) et le sous-titre suivant « Il recommence. » et…
  • Les sous-titres « sonores » absents : la musique, le train qui siffle, les fouets qui claquent… (comme s’ils avaient fait des sous-titres pour aveugles en fait…)

Je m’arrête là (même s’il doit y en avoir d’autres, mais j’écris tout ça de mémoire). Tous les épisodes de la série sont disponibles sur internet, alors qu’ils n’ont pas encore tous été diffusés à la télé. On pourrait donc penser que les sous-titres ont été faits à la va-vite parce qu’ils n’étaient pas prêts pour les épisodes « en avant-première », mais nous n’avons pour l’instant regardé que les épisodes déjà diffusés à la télévision ! Ce qui signifie que les sous-titres devraient être bons, à défaut d’être excellents. Parce que si sur la télé, le télétexte proposait ces mêmes sous-titres, je plains les sourds et malentendants qui n’ont rien dû comprendre !

Qu’une entreprise de streaming en ligne fasse vite et mal (j’ai évoqué Netflix, mais on pourrait tout aussi bien ajouter AmazonPrime et tous les services de ce type, car ils fonctionnent tous de la même manière), c’est normal quand on paye mal, qu’on ne coordonne pas les traductions en donnant des bouts de scripts pour que ça aille plus vite. C’est le modèle qui pose problème (tant d’un point de vue artistique qu’humain). Parce qu’il faut produire vite.

Mais qu’une chaine de télévision nationale, payée en partie par les impôts français et qui se doit d’offrir de la diversité culturelle fasse du sous-streaming, NON !
Je suis sûre que des fansubs auraient été meilleurs. Quand on connait les sous-titres de séries écrits gratuitement en trois heures par des fans parlant à peine anglais… ce n’est vraiment pas un compliment pour France TV !

Surtout que la série a mis du temps à être tournée, qu’il y a des moyens (on n’est pas sur Plus belle la vie, il y a du budget et du temps !), que les scripts étaient à disposition, que le montage final n’a pas dû être fini la semaine dernière puisqu’il existe une version française, et qu’en plus, France TV se doit d’être exemplaire sur l’inclusivité puisque c’est une chaine nationale, c’est honteux.

Image tirée de la série Le Tour du Monde en 80 jours : on voit Passepartout faire du feu avec le sous-titre "Il renouvelle l'opération."

Faire croire ou non au père Noël…

Un petit article de circonstance aujourd’hui.

Je ne sais pas si je l’ai déjà évoqué ici. Si c’est le cas, tant pis, je radote, je me fais vieille. Doit-on faire croire au père Noël ?

La question pose débat et je ne veux pas entrer dans celui-ci. Les parents font croire ce qu’ils veulent à leurs enfants, c’est leur droit. Que la société jouent le jeu, c’est normal, surtout qu’on touche aux enfants, donc il y a un côté « merveilleux » qu’on ne veut pas gâcher.

Je suis professeur en maternelle, je jongle avec les enfants qui y croient et ceux qui n’y croient pas ou plus. C’est parfois gênant, mais j’ai remarqué que les enfants n’en ont rien à faire : à cet âge, ils ne s’écoutent pas les uns les autres, ce qui, en l’occurrence, est une bonne chose pour moi. Je n’ai pas à rattraper les paroles de Lucien 4 ans qui annoncent partout que le père Noël n’est pas un vrai parce qu’il existe pas, car Marie et Joachim (tous les prénoms sont inventés, bien sûr) l’ont vu au supermarché, le vrai, hein, le même que celui qui est dans le couloir de l’école.
Au quotidien, je ne prononce quasiment jamais son nom (sauf si l’enfant en parle) et je parle surtout de la décoration du sapin et de la classe ou du goûter qu’on va faire que des cadeaux et du père Noël. J’évite aussi les chansons autour du père Noël (je vais chanter Vive le vent ou Jingle Bells mais pas L’as-tu ou encore Petit papa Noël)
Et oui, on fête Noël à l’école : parce que ça permet de faire parler les enfants (un sapin décoré, ça fait blablater même le plus timide des élèves) et parce que c’est une fête qui est entrée dans les mœurs : un sapin, des cadeaux, oui, une crèche et la signification religieuse, bien sûr que non ! De toute façon, la plupart des gens qui le fêtent ne sont pas croyants et ne savent parfois même pas à quoi ça correspond. Revenons au sujet.

Il y a bien longtemps que mes propres enfants ne sont plus en âge de croire au père Noël. En fait, ils n’y ont jamais cru. A la maison, on ne parlait pas du père No¨ël, on parlait de Noël tout court. On cachait les cadeaux parce qu’on ne voulait pas qu’ils sachent ce qu’ils allaient avoir, et non parce qu’ils n’étaient pas censés être là. Je n’ai pas l’impression qu’il y avait moins de magie : on décorait la maison, le sapin et les yeux des enfants brillaient (et brillent toujours) quand on allumait les lumières et qu’elles se mettaient à clignoter. Désormais, le côté « cadeau » est pour nous devenu une corvée, pour eux encore un moment de joie. En plus, c’était des remerciements vraiment sincères (ou des déceptions aussi, j’ai des enfants sans filtre parfois), à la personne qui offrait et pas à un personnage imaginaire.

Enfant, on m’y a fait croire. Je me souviens même l’avoir vu une nuit, dans le salon avec son manteau rouge et tout ! (alors que connaissant mes parents, il est très peu probable que mon père se soit déguisé une seule fois en père Noël). Bref, je n’ai pas reproduit le schéma familial. Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment, c’était plus facile sans doute : à un enfant qui ne croit pas, inutile de faire des pieds et des mains pour expliquer ce que les autres peuvent dire ou faire. Je vais toujours à la facilité.

En y réfléchissant, quand j’étais étudiante, je gardais une petite fille qui avait perdu sa dent. Elle prévoyait de mettre la dent sous son oreiller, mais elle était à l’âge où l’on doute de l’existence de la petite souris. Elle m’a donc sorti « La petite souris, c’est comme le père Noël ou Dieu, ça n’existe pas. » Le parallèle ne m’avait pas foncièrement choquée à l’époque mais il avait bien mis en lumière le fait que mentir sur certaines choses faisait que d’autres pouvaient apparaitre comme un mensonge, et donc desservir la cause. On fait croire au père Noël et à la petite souris et, un jour, les enfants apprennent qu’ils n’existent pas… Pourquoi ce ne serait pas pareil pour Dieu ? Je ne dis pas que Dieu existe ou non, je ne dis pas non plus que si l’on veut que les enfants adoptent la religion de leurs parents, il faut nier l’existence d’un être imaginaire pour qu’ils sachent qu’un autre être qu’on n’a jamais vu ni entendu existe.

Mais l’idée c’est que si l’on ment délibérément à ses enfants sur une chose qu’on sait fausse, comment voulez-vous qu’ils aient confiance en vous ensuite et vous croient ? Comment peuvent-ils entendre « Tu peux compter sur moi » quand ils découvrent qu’on leur a menti pendant des années ? La crédibilité des parents ne tiendrait-elle qu’à ces petits mensonges dans l’enfance ?

Pour cette petite fille, j’ai promis de ne pas dire à ses parents qu’elle avait mis la dent sous son oreiller. Et je me suis empressée d’expliquer la situation aux parents lorsqu’ils sont rentrés, en précisant qu’elle voulait vérifier que la petite souris existait vraiment. A eux de choisir ce qu’il fallait faire.

La question de faire croire ou non m’est revenue en tête parce qu’il y a quelques jours, je passais chez une amie déposer des cadeaux pour sa fille. Consciente qu’à 5 ans, « on y croit encore », je les cachais. Mais rapidement, cette amie m’a dit « qu’elle n’y avait jamais cru ». C’était peut-être la première fois que je croisais des parents qui avaient fait comme moi (on se connait depuis le collège, mais ayant eu des enfants assez éloignés en âge, c’était une discussion que nous n’avions jamais eu): ils ne s’était pas posé la question, c’était tout naturellement que ça s’était fait.

Et c’est ce qui s’était passé pour nous : ça s’est fait naturellement sans qu’on en discute ou qu’on fasse le moindre effort (nous sommes deux gros paresseux, mon mari et moi, il faut l’avouer). Noël, c’est autre chose que juste le père Noël et les cadeaux. Évidemment quand un parent me dit de faire attention, avec de grands yeux en désignant un enfant qui joue de dos, je comprends, je joue le jeu (sans forcer, hein). Mais je ne peux m’empêcher quelque part de penser qu’il se complique beaucoup la vie pour pas grand chose.

Quand le personnage n’en fait qu’à sa tête…

Quand on écrit, il arrive qu’un personnage n’en fasse qu’à sa tête. Cela peut paraître bizarre à dire, puisque c’est l’auteur qui écrit et donc a la main sur ses personnages, mais parfois, la logique de l’écriture s’éloigne du scénario prévu. Et un personnage dont le destin était tout tracé prend vie et part dans une autre direction.

Je sais que certains auteurs n’ont pas ce problème et pour d’autres c’est plutôt récurrent. Personnellement, je l’ai vécu assez souvent, mais j’ai toujours réussi à ramener l’histoire (en la modifiant parfois un peu) là où elle devait arriver, malgré les personnages « qui n’en font qu’à leur tête ».

C’est assez logique en fait : parce que lorsque l’on écrit, on va essayer de coller à la situation et suivre un plan n’est plus la priorité : il faut que le personnage ait une réaction logique et proportionnée à la scène, en fonction du caractère qu’on lui a donné. Quand on prépare un plan, c’est grossier, ce sont des grandes lignes, mais au moment de rédiger, on pense à tout un tas de détails qui peuvent modifier les réactions logiques des personnages. Ce qui explique qu’ils ne soient pas toujours là où on les attend.

Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que j’ai cru trouver ce problème dans un roman que j’ai lu récemment.

Dernièrement, j’ai lu Mansfield Park de Jane Austen. C’est un roman d’Austen, donc c’est romantique, l’héroïne va tomber amoureuse d’un type tout désigné, il va y avoir des obstacles, mais à la fin, ils vont se marier ! Voilà. C’est pas très dur de deviner qui va épouser qui, mais l’intérêt, c’est le déroulé de l’histoire et la manière dont les personnages vont tomber amoureux. Mais voilà, contrairement aux autres romans d’Austen où le dénouement est long, où elle prend le temps de détailler les moments où les deux amoureux réalisent qu’ils le sont, là, c’est…

Si vous souhaitez lire ce livre arrêtez-vous là. Allez le lire, et revenez ensuite ! Car je ne voudrais pas vous divulgâcher la fin.

Donc, je reprends : la fin est ici très abrupte. Après avoir étaler pendant des pages et des pages l’amour d’Edmond pour Miss Crawford, le retournement de situation est expédié en trois lignes. En fait, j’ai vraiment eu l’impression qu’à chaque fois que la situation aurait dû se retourner au profit de Fanny (ce qui arrive quand même deux ou trois fois…), Edmond continue à foncer tête baissé, totalement aveuglé par l’amour, et que l’auteur a essayé plusieurs fois de le faire revenir à la raison (Edmond, s’il te plait, reviens à mon plan de base !), le personnage n’a rien écouté et a continué dans sa propre direction.

C’est vraiment l’impression que j’ai eu durant la lecture et cette idée m’a vraiment marquée à la fin : quand, enfin, elle réussit à lui faire lâcher Miss Crawford, il ne part pas pour autant vers Fanny. Comme s’il ne voulait toujours pas voir que c’est elle qui lui est destinée !
Arrivée là, l’histoire étant déjà très longue, il faut en finir ! La fin est une description très rapide de la situation du genre « Bon ben, il se rend compte que Fanny est la femme idéale et il l’épouse, voilà, c’est fini ! » comme une auteure qui en aurait eu vraiment marre de son personnage et qui ramène l’histoire où elle doit être.

J’ai recommencé à lire

C’est tout bête, mais ça fait très longtemps que je ne lis plus. Plusieurs années.

J’ai arrêté de lire à peu près en même temps que j’ai arrêté d’écrire. Il y a eu plusieurs articles avec les différents confinements qui sont parus, expliquant que beaucoup de gens ne lisaient plus, parce qu’il faut avoir un horizon, de l’espoir pour pouvoir se projeter dans un livre. C’est exactement ce qui s’est passé.

Enfant, je lisais sans frénésie, comme un enfant qui aime à lire les aventures de certains de ses héros préférés. Mais je me souviens surtout des livres que je ne finissais pas. Pas une grosse lectrice.

Ado, je lisais un peu plus, grâce à des professeures qui ne nous imposaient pas vraiment de livres, mais des thèmes. Quelques livres restèrent parmi ces livres qu’on gardent avec soi toute sa vie.

Mais jusqu’à l’âge adulte, je n’ai jamais été une grosse lectrice. Adulte, j’ai commencé à lire, de manière assidue, durant la grossesse de mon troisième enfant. Cela a duré quelques années. En même temps est venu le besoin d’écrire. J’écrivais comme je lisais, de manière frénétique : un échappatoire à ma vie, avec des espoirs bien présents d’une vie différente pour l’avenir. Quelques années à un rythme très soutenu, et puis des questionnements, des interrogations, une profonde démotivation…

J’ai arrêté de lire avant d’arrêter d’écrire. Plus l’envie, j’avais l’impression qu’aucun livre ne m’offrait pas ce que j’en attendais. Et petit à petit, j’ai arrêté d’écrire. Ma vie n’a pas eu beaucoup d’objectifs depuis (à part celui de trouver un boulot qui paye… et qui me plaise suffisamment pour que je ne lâche pas au bout de 5 ans comme tous les autres), ça n’encourage pas à se projeter.

Juste pour dire que j’ai recommencé à lire…

Où il est question de genre à l’école.

[Précision puisqu’il va être question de genre : je parle ici, comme généralement sur ce blog, au masculin « neutre » parce que je suis de la vieille école et qu’il est plus facile pour moi de m’exprimer ainsi. No offence.]

La question du genre à l’école, en classe est problématique.

Je me la pose depuis plus d’un an. En fait, depuis que je suis remplaçante et que je passe beaucoup de temps en maternelle 1 .

A l’ESPE, pendant la formation, je me souviens d’un cours sur la maternelle où l’on nous demandait de faire très attention aux représentations, aux images qu’on proposait aux élèves. Ainsi, il ne fallait pas qu’un petit garçon représente le coin voiture et construction et une petite fille le coin des poupées et de la cuisine.

Alors que les autres stagiaires proposaient d’inverser, mettre un garçon aux poupées et la représentation d’une fille au coin voitures, je trouvais déjà plus logique de mettre juste une image de voitures et de poupées, sans ajouter d’enfants dessus. Ils savent comment faire, pas besoin d’enfants sur l’image. Mais pour les adultes, une image avec un enfant qui joue, c’est tellement plus joli ! Et c’est là que le problème se pose : on parle de ne pas stigmatiser, de ne pas induire des comportements stéréotypés 2, du coup, on pousse plutôt vers un inversement des rôles en croyant bien faire et en oubliant qu’on inculque certains stéréotypes dès le plus jeune âge sans même en avoir conscience.

Tableau présentant deux colonnes surmontées d'images : Les filles présentent un dessin expressif d'une petite fille très souriantes, les yeux plissés, les cheveux longs et bien coiffés, les bras ouvert, mains paumes vers le haut; les garçons sont représentés par un dessin très schématique d'un garçon, cheveux courts en brosse, moins souriant, les mains très schématiques sans réelle expression et portant un tshirt et short.
Tableau d’accueil d’une classe
de moyenne section vu l’année dernière :
les enfants, en arrivant, doivent eux-même se placer dans la bonne colonne et répondre aux normes imposées par les images (fille : très souriante, cheveux longs et robe, bras accueillants; garçon : cheveux courts, short, mains très schématisées et sourire moins marqué qui démarque une moindre injonction d’ouverture à l’autre)

Ainsi, dans beaucoup de classes de maternelle, le matin, on compte les élèves. Cela permet d’inscrire la comptine numérique dans la tête 3, et d’associer le principe « un nombre, une personne » qui permet d’acquérir le côté cardinal du nombre 4. Or, dans beaucoup de classes, on compte l’ensemble des élèves, puis l’ensemble des filles et l’ensemble des garçons 5. On applique déjà, à un âge où ils n’ont pas encore de conscience du genre, qu’il y a des filles et des garçons et qu’on doit se placer d’un côté ou de l’autre, sans autre choix. Je suis bien obligée de suivre les rituels, surtout lorsque je ne suis là que pour deux ou trois jours, mais à chaque fois cela me hérisse le poil. Combien de fois, il m’est arrivé de compter un garçon comme une fille parce qu’il avait les cheveux un peu longs ou les traits fins ? Les enfants eux-même se trompent souvent et se font reprendre par un adulte « Non, c’est un garçon. Non, c’est une fille. » A un moment où ils n’ont pas encore conscience de la sexualité ou des différences de genre, on le leur inculte, nous, adultes !

La plupart des profs le font en croyant bien faire en plus ! Notamment parce qu’on nous dit qu’il faut enseigner les stéréotypes culturels pour comprendre le monde et ensuite les déconstruire pour acquérir l’humour, la nuance, la contradiction du monde 6. Beaucoup de profs pensent donc qu’il est « bien » de construire le stéréotype fille/garçon pour le casser ensuite. Sauf que le stéréotype culturel qui aide à comprendre la littérature et l’art, n’est pas le même que le stéréotype systémique qui va s’imposer à l’individu : le stéréotype du grand méchant loup est extérieur à l’enfant : il pourra ou non choisir de l’incarner dans un jeu, mais on ne va pas lui dire « Tu es un grand méchant loup » tous les jours ! Alors que le stéréotype fille/garçon va s’imposer à l’enfant et à ses camarades : il se retrouvera en situation d’inconfort s’il joue aux poupées ou qu’elle joue aux voitures, même lorsque le discours sera « Les filles peuvent y jouer, les garçons aussi… » parce qu’inconsciemment on aura construit le côté garçons/voitures et filles/poupées 7, alors qu’il ne devrait y avoir aucun genre associé à quelque type d’activité que ce soit.

Cette question du genre, je me la pose encore plus depuis cette semaine à cause de trois évènements qui se sont déroulés en quelques jours, voire heures, d’intervalles.

J’ai regardé l’excellent et touchant documentaire de Sébastien Lifshitz « Petite Fille » 8. On découvre une petite fille, née garçon, qui n’a que 7 ans, qui se fait rabrouer par les adultes de l’école, du conservatoire, pour vouloir « être elle-même », on y voit la souffrance des parents face aux autres adultes, l’Éducation nationale surtout qui pose problème, la violence de certains enfants qui reproduisent l’exemple qu’on leur montre 9, alors que ça ne coûte rien de l’accepter en tant que fille ! Comme dit sa mère dans le reportage : « S’il n’y avait pas ce bout de papier qui indique « garçon » personne ne douterait que c’est une fille. » Mais on y voit heureusement aussi des enfants qui ne se posent pas de question et l’accepte comme elle est.

Deuxième évènement, j’ai appris qu’une lycéenne transgenre s’était suicidée dans ma ville. Au-delà de cet évènement, c’est surtout la réaction de la rectrice d’Académie qui m’a fait enrager. A elle seule, cette réaction montre combien le système est dysfonctionnel : la rectrice, je cite La Voix du Nord, « souhaite des formations « encore plus soutenues » du corps enseignant, afin d’améliorer l’accompagnement spécifique des élèves en transition de genre, et aussi en général « de ceux qui sont en souffrance. » » 10. Et dans son message de soutien à la famille de cette élève, la rectrice parle d’elle au masculin ! Les beaux discours sont trop nombreux, mais dans les faits, rarement appliqués 11, alors qu’il est tellement simple d’accepter que le genre d’une personne est celui qu’elle choisit. En plus, ici, il n’était pas question du pronom « iel » puisque cette lycéenne s’identifiait à l’un des deux genres officiellement reconnus par l’Éducation nationale…

Enfin, le troisième évènement a été plus personnel. Je finissais, hier, un remplacement long dans une classe de grande section, dans un quartier assez peu mixte et pas très riche. Les garçons y font déjà du foot, les filles sont toutes habillées en robes et cheveux longs. Je me suis appliquée à ne pas parler de filles ou de garçons, et à ne pas trop distinguer les genres au quotidien. C’est assez facile en fait, il suffit d’éviter les situations qui poseraient problème (on ferme le coin cuisine, on range les poupées et les voitures, on pousse vers les puzzles et le dessin). Une stratégie d’évitement, certes, mais en ce moment, avec la fatigue et la situation, je préfère éviter simplement tous les conflits 12. Pendant deux mois, j’ai donc réussi à ne pas avoir à gérer trop de « les filles font ci, les garçons ça ». Hier, dernier jour d’école avant les vacances, dernier jour de mon remplacement, j’ai accédé à leur demande, j’ai ouvert la cuisine, ressorti poupées et garage de voitures. Pour éviter tout débordement, j’ai imposé un quota de 4 élèves par coin et j’ai fait tourner les groupes. Évidemment, le premier groupe aux voitures était constitué exclusivement de garçons. Je dis » évidemment », parce que je n’ai pas imposé les groupes : j’ai demandé « qui voulait y aller » et les garçons se sont précipités sur les voitures. Une remarque est sortie alors, de la part d’un petit garçon, qu’il avait le droit de jouer aux voitures parce qu’il était un garçon. J’ai répondu, assez fort pour que tous entendent, que ce n’était pas une question de fille/garçon mais une question de places : que si une fille voulait jouer aux voitures, elle pouvait et que lui, en attendant son tour, avait le droit d’aller jouer aux poupées puisqu’il y restait une place. Dès le deuxième tour, les groupes étaient mixtes : les filles avaient entendu qu’elles « pouvaient » jouer aux voitures, que les garçons « pouvaient » jouer aux poupées, et je n’ai plus eu aucune remarque à ce sujet.

Tous ça pour en venir au fait : la question du genre n’est pas encore correctement abordée à l’école. Pourquoi ? Parce qu’on a sans doute toujours fait comme ça, que l’essence même de l’école de Jules Ferry était d’être pour tous/toutes mais « non mixte ». Parce qu’on nous a appris qu’il y avait les filles et les garçons, qu’on était soit l’un, soit l’autre et que l’entre-deux rend mal à l’aise. Parce qu’on nous « apprend » à enseigner mais qu’on nous apprend rarement à réfléchir sur sa pratique, sur les implications de chacun de nos gestes, de nos choix, de nos comportements.

Certes l’ESPE (INSPE désormais) impose des cours de « Pratiques réflexives », mais ces cours sont tellement inégaux selon les profs ! Et ils sont proposés à un moment de notre parcours où l’on se cherche encore et où l’on souhaite surtout « plaire » à notre hiérarchie pour être titularisé, ce qui ne permet pas de prendre le recul sur ce que l’on fait au quotidien. Qui se souvient, trois ans après, de ces quelques heures où l’on revenait sur sa pratique et où l’on analysait, en groupe, les problèmes et les solutions possibles ? Que beaucoup d’étudiants, alors, prenaient pour une perte de temps ? Quel professeur a suffisamment de temps, au quotidien, pour se poser et réfléchir à sa pratique et non, juste à comment il va faire pour enseigner telle ou telle notion ?

Mais je m’éloigne du sujet initial, donc je vais m’arrêter là. Sans véritable conclusion, car au fond, il n’y en a pas vraiment…

***

Notes :

1-Allez savoir pourquoi, j’ai très souvent remplacé en maternelle, plus qu’en élémentaire.

2-Type « les filles en rose, les garçons en bleu »

3-Il faut savoir dire la suite des nombres jusqu’à 30 en fin de maternelle… et ça tombe bien, les classes frôlent bien souvent les 30 élèves.

4-En gros , je compte 1 en touchant 1, 2 en touchant un deuxième élément, et ainsi de suite pour comprendre qu’à la fin, il y a 25 éléments parce que j’ai touché 25 éléments.

5-Le côté pratique : cela permet de répéter le début de la comptine au moins trois fois.

6-Le grand méchant loup est un bon exemple de stéréotype : il est méchant, il veut manger les enfants; ce qui permet, une fois le concept acquis, de comprendre l’humour d’autres histoires où le stéréotype est déconstruit : Si les enfants découvrent le loup avec Loulou de Solotaref, il peut leur être difficile de comprendre que le loup est une image d’ogre, et ils ne vont pas comprendre que Loulou, affamé, veut manger son ami lapin !

7-Construit par le « aussi », sous-entendant qu’à la base, c’est une activité de l’autre sexe.

8- https://www.youtube.com/watch?v=WxXoRUE-mIE

9- Spoiler : lorsque Sasha fait enfin sa rentrée en tant que fille, acceptée par l’école, les autres enfants ne se moquent plus. Comme quoi, ils ne font que reproduire le comportement des adultes !

10- https://www.lavoixdunord.fr/910027/article/2020-12-18/suicide-de-fouad-doit-travailler-sur-l-approche-bienveillante-affirme-la

11- En tout cas dans la hiérarchie, parce que nous, simples profs, on nous oblige à les mettre en pratique : bienveillance, acceptation du handicap, etc. Mais dès qu’on monte d’un cran hiérarchique, combien l’appliquent réellement ? Au-delà du discours, ils ne sont pas si nombreux que ça…

12- Au-delà de la problématique du genre, c’est surtout la problématique du bruit et du calme dans la classe qui m’a poussée à ne pas leur proposer ces activités. C’était une classe très bruyante et dissipée.

J’ai ai marre !

J’en ai marre !
J’en ai marre de croiser des classes où les enfants se traitent d’idiots entre eux, se dévalorisent sans cesse, se dénigrent, s’accusent de tricher les uns sur les autres, se dénoncent pour des comportements inappropriés (untel dessine au lieu de travailler, untel a bu de l’eau alors que ce n’est pas la récréation, untel s’est levé sans autorisation, untel triche…)

Je jouis !
Je jouis de voir ces élèves stupéfaits quand je leur réponds « Et alors ? », parce que je ne veux pas faire de ma « temporaire » classe un tribunal et que je préfère me concentrer sur les apprentissages, que si « tricher » ça aide le voisin à comprendre, je ne vois pas pourquoi je l’interdirais, que je n’ai rien à faire que toutes les réponses soient bonnes, que les cahiers soient parfaitement tenus, tant que les élèves font ce qu’ils peuvent !

Je suis fière !
Je suis fière de m’énerver contre une classe, de voir leurs corps se redresser, quand je crie que « Je ne veux entendre personne dire qu’il est bête ! » que « Dans ma carrière, je n’ai jamais vu aucun enfant idiot ou bête, je n’ai jamais vu que des enfants intelligents » et que « je ne vois aucun imbécile dans cette classe » car je sais que c’est un discours qu’ils n’entendent jamais, que c’est peut-être la première fois qu’ils voient un professeur s’énerver, non pas contre eux, mais contre les idées qu’on peut leur mettre dans la tête. Et tant pis si ça réveille les élèves et qu’à son retour, le professeur fait face à de l’indiscipline parce qu’il est incapable de bienveillance.
C’est sa faute, pas la mienne.

Somatisation

Le réveil n’a pas sonné.
Pas besoin.
Le corps sait, le corps se lève.

Le corps a faim. Le corps boit un verre d’eau. Envie de vomir.
L’estomac ne sait pas. Le cœur non plus.
Les larmes se préparent. Non, pas encore. Pas si tôt…

Le corps se rallonge.
Il est fatigué, il ne veut pas sortir. Mais il ne dort pas.
La gorge fait sentir son poids, elle veut exister, elle veut crier.
Mais le corps l’en empêche.
La tête a dit…

La tête se contredit aussi. Elle sait ce qui doit être fait. Mais ce qui sera fait ?
Elle sait qu’elle doit aller travailler, elle a engagé le corps. Privés de la liberté de choisir, de dire non, pour pouvoir se nourrir et vivre. Mais elle sait aussi ce qui doit être fait, pour le bien du corps… pour son bien à elle.

Elle ne le fera pas, parce qu’elle ne sait pas quoi faire. Si le corps ne va pas travailler, ils ne mangeront pas.

Mais le corps, lui, n’a pas faim. Juste la nausée…

Il fait beau

Il fait beau, un peu frais, mais le soleil est là, le ciel est bleu. Si j’y portais un peu mon attention, j’entendrais le chant des oiseaux. Je soupçonne une mésange charbonnière, bien que je n’en ai pas vu la queue et que mes connaissances en la matière se limitent à être sûre du fait que lorsque j’entends une mouette, c’est bien une mouette (alors qu’il s’agit en fait d’un goéland, mais tout le monde dit mouette, je le dit par mimétisme social). Le confinement a eu pour effet de m’interroger sur le chant des oiseaux que je ne vois pas.

C’est un peu comme ce virus, qu’on ne voit pas, ces malades dont les chiffres s’accumulent, ces morts qui font peur, mais qu’on ne voit pas. Je vois les gens passer dans la rue , chaque jour un peu plus nombreux. Au début, s’il passait une voiture et deux piétons à l’heure, c’était un maximum. Mais les véhicules sont de plus en plus nombreux, au point qu’il m’arrive de penser qu’il s’agit d’un jour normal. Les piétons aussi sont plus présents, comme si on avait oublié la peur des premiers jours, comme si on réalisait que le confinement n’empêche pas de sortir, ni de vivre. Et on oublie chaque jour un peu plus le danger, on pense s’en éloigner, se rapprocher de la fin, du retour à la normale.

Ce n’est qu’une illusion. La planète continue de tourner, le Soleil de se lever et de briller, quelque soit la situation sur Terre. On pense toujours qu’un jour triste ne peut être ensoleillé et que si le mariage est pluvieux, il sera forcément heureux. Comme si les astres avaient une influence sur nos émotions, sur les dangers ou les bonheurs qui nous entourent.

J’y pensais l’autre jour en allant au jardin. Il fait beau, frais, mais très beau. La terre est un peu sèche, comme elle l’est depuis longtemps, comme elle l’était l’année dernière au même moment. Lorsque nous avons planté des fleurs pour la première fois sur le terrain. Le lendemain de la mort de ma grand-mère. C’était un jour triste, il faisait froid et le ciel était gris. Un an après, le ciel est beau, bleu, la vie va, personne n’est malade, personne n’est mort depuis des mois. Tout va bien. C’est forcément lié.

Ça ne l’est pas. La terre n’est pas cruelle de nous offrir des floraisons, le ciel n’est pas ironique de resplendir comme un mois d’août alors que nous voyons nos proches malades, lutter, mourir. Tout comme ils ne comprennent pas notre tristesse lorsqu’ils nous accompagnent par leur froid et leur pluie. Car pour nous, le temps s’arrête, on ne sait plus quoi faire, quoi dire. On attend les nouvelles, la suite. Mais le monde continue. Celui-ci aura une journée de travail normal, ennuyeuse, l’autre vivra le plus beau jour de sa vie, pour l’un le temps passera trop vite et le dernier trouvera la journée interminable. Les drames et les joies de nos vies ne concernent que nous.

Nous les partageons parfois, parce que l’émotion est trop forte. Mais recevons-nous réellement ce que nous attendons ? On voudrait que le monde entier soit aussi triste que nous, on ne reçoit que des condoléances, sincères (réellement ou pas). Nous imprimons nos émotions, nos pensées, au monde qui nous entoure, mais ce n’est que ça : une impression.

Je pars bien loin. Je me dis que la journée d’hier sera la même que celle de demain. Que j’ai de la chance, que la maladie est bien loin. Dans ces conditions, oui, revenir à la normale semble ce qu’il faut faire. Mais je viens d’apprendre que derrière chez moi, quatre personnes sont mortes, emportées en quelques jours. Des gens que je n’ai jamais vu, jamais croisés, dont les noms ne m’évoquent rien. La maladie s’est rapprochée. Bien sûr, je n’en ai pas peur. Je me protège, je reste chez moi, je tourne en rond et me dit que retourner travailler serait certainement plus utile. Et il me faut un effort énorme pour comprendre que ce n’est pas le cas.

Je n’ai jamais été jusqu’au bout de La Peste de Camus. Je me souviens juste qu’il décrit des rues vides où tout semble s’être arrêté. Puis qu’au bout d’un moment, les gens, habitués, se sont remis à vivre normalement parce que la maladie n’était pas visible, que n’ayant pas été touché, on n’en avait plus peur. C’est peut-être une réinvention, je ne l’ai lu qu’une fois, d’un œil distrait, il y a longtemps. Mais j’ai l’impression qu’on en est là : la lassitude, le manque d’ennemi clairement identifiable (les terroristes, les pédophiles, le grand méchant loup), on se lasse de cette histoire et on retombe dans nos habitudes et nos travers. Car on ne peut pas avoir tout le temps peur, on veut résister, on veut continuer à vivre et qu’on ne vit vraiment que lorsqu’on a repris ses habitudes, rassurantes. Parce que nos esprits, paresseux, se refusent à accepter qu’en restant enfermés, qu’en respectant des gestes trop simples, on puisse vaincre. Il nous faut de l’action, du sensationnel, comme dans les romans ou les films. Or, tout n’est que banalité. Et le plus dur est là : lutter sans cesse contre soi-même pour ne pas retomber dans les habitudes d’une vie normale où la maladie n’existerait plus, oubliée. Et accepter qu’en ne faisant rien, on fait quand même quelque chose.